Changement de lieu pour les deux personnages.
- Hier j’ai rêvé d’une tarte aux pommes,
caramélisée et posée à la renverse
sur son plat de porcelaine.
Ma tante Belmira se trouvait assise
au bout de la table et répétait inlassablement
sa phrase préférée :
- « Je ne le souhaite pas à mon pire ennemi ! «
- Cela avait-il un rapport avec la qualité de la tarte ?
- Aucun. Elle mettait la main devant sa bouche,
car elle n’avait plus que deux dents en bas,
là…devant, tu vois ?
- Oui, c’est triste, mais elle a goûté à la tarte
quand même ?
- J’ai oublié.
Le gâteau était intact, on mâchait du vide.
- J’étais là ?
- Non, tu étais en retard comme toujours.
- Je voulais rêver endormi, pour voir.
- Tu n’as qu’à fermer les yeux très fort.
- J’ai trop faim.
- On peut pique-niquer sur le perchoir.
- Il y a du vent ce soir, on a une chance
de tomber à pique.
- Tu n’as même pas besoin d’aider le destin.
- On avait dit que on ne le ferais plus.
- Dans la vie on change.
- Si vite ?
- C’est très loin hier.
- Je ne sens plus le goût de ma langue séchée.
Avant, la soif occupait toutes mes pensées !
Plus que l’idée de mâcher n’importe quoi,
la vision d’une bière me faisait suer.
- Tu fais des jeux de mots, encore ?
- Je ne comprends pas.
- Laisse, on va essayer de survivre,
avec ou sans chute et ce qui doit suivre.
- Tu veux tirer à la courte paille ?
- Il faudrait déjà que je trouve deux allumettes.
- Tiens, fouille dans ma poche.
- Un crayon. Bleu. Je peux le casser en deux.
- Ca va pas non ?
- Si tu tombes, quelle importance ?
- Tu pourras continuer d’écrire ma vie.
- Je préfère dire les mots tout haut,
et puis on a plus de papier à lettres.
- Non, mais il reste le vieux papier décoloré,
qui avait roulé la dernière tranche de jambon
volée pour Anna.
- Ah, oui, je veux le voir, on l’a tellement léché !
Il est devenu si mince, une feuille de soi.
Anna et moi on jouait au miroir
avec ce machin de souvenir.
(le personnage sort une feuille chiffonnée de sa poche).
- Tiens, fais attention il se déchire tout seul.
- Non.
- C’est toujours pareil.
- Je vais garder les yeux fermés.
- Tu veux le toucher ?
- Pas vraiment, je veux le renifler.
- Que cherches-tu à part une odeur
de poche sale et poussiéreuse ?
- Elle est là, dans cette sombre nuée de souvenirs.
- On est devenue elle, on a son parfum dans le sang.
- Tais-toi.
- C’est beau, le temps venu elle mourra avec nous.
- Je crois que l’on meurt toujours seul.
- Pas nous.
- On a transgressé la loi .
- Dieu nous a regardé faire.
- Que penses- tu de son grand silence ?
- Il est aveugle, peut-être.
- Il dort tout le temps.
- Il est fatigué de nous écouter dire des bêtises,
les aveugles ont une ouïe très fine.
- Il fait semblant, c’est pour ça que les hommes
ont inventé le jugement dernier.
- Mais après la résurrection des corps,
il n’y aura pas de place sur la terre
pour tout le monde !