vendredi 28 septembre 2007

Deux sur le perchoir

DEUX SUR LE PERCHOIR

Changement de lieu pour les deux personnages.

- Hier j’ai rêvé d’une tarte aux pommes,

caramélisée et posée à la renverse

sur son plat de porcelaine.

Ma tante Belmira se trouvait assise

au bout de la table et répétait inlassablement

sa phrase préférée :

- « Je ne le souhaite pas à mon pire ennemi ! «

- Cela avait-il un rapport avec la qualité de la tarte ?

- Aucun. Elle mettait la main devant sa bouche,

car elle n’avait plus que deux dents en bas,

là…devant, tu vois ?

- Oui, c’est triste, mais elle a goûté à la tarte

quand même ?

- J’ai oublié.

Le gâteau était intact, on mâchait du vide.

- J’étais là ?

- Non, tu étais en retard comme toujours.

- Je voulais rêver endormi, pour voir.

- Tu n’as qu’à fermer les yeux très fort.

- J’ai trop faim.

- On peut pique-niquer sur le perchoir.

- Il y a du vent ce soir, on a une chance

de tomber à pique.

- Tu n’as même pas besoin d’aider le destin.

- On avait dit que on ne le ferais plus.

- Dans la vie on change.

- Si vite ?

- C’est très loin hier.

- Je ne sens plus le goût de ma langue séchée.

Avant, la soif occupait toutes mes pensées !

Plus que l’idée de mâcher n’importe quoi,

la vision d’une bière me faisait suer.

- Tu fais des jeux de mots, encore ?

- Je ne comprends pas.

- Laisse, on va essayer de survivre,

avec ou sans chute et ce qui doit suivre.

- Tu veux tirer à la courte paille ?

- Il faudrait déjà que je trouve deux allumettes.

- Tiens, fouille dans ma poche.

- Un crayon. Bleu. Je peux le casser en deux.

- Ca va pas non ?

- Si tu tombes, quelle importance ?

- Tu pourras continuer d’écrire ma vie.

- Je préfère dire les mots tout haut,

et puis on a plus de papier à lettres.

- Non, mais il reste le vieux papier décoloré,

qui avait roulé la dernière tranche de jambon

volée pour Anna.

- Ah, oui, je veux le voir, on l’a tellement léché !

Il est devenu si mince, une feuille de soi.

Anna et moi on jouait au miroir

avec ce machin de souvenir.

(le personnage sort une feuille chiffonnée de sa poche).

- Tiens, fais attention il se déchire tout seul.

- Non.

- C’est toujours pareil.

- Je vais garder les yeux fermés.

- Tu veux le toucher ?

- Pas vraiment, je veux le renifler.

- Que cherches-tu à part une odeur

de poche sale et poussiéreuse ?

- Elle est là, dans cette sombre nuée de souvenirs.

- On est devenue elle, on a son parfum dans le sang.

- Tais-toi.

- C’est beau, le temps venu elle mourra avec nous.

- Je crois que l’on meurt toujours seul.

- Pas nous.

- On a transgressé la loi .

- Dieu nous a regardé faire.

- Que penses- tu de son grand silence ?

- Il est aveugle, peut-être.

- Il dort tout le temps.

- Il est fatigué de nous écouter dire des bêtises,

les aveugles ont une ouïe très fine.

- Il fait semblant, c’est pour ça que les hommes

ont inventé le jugement dernier.

- Mais après la résurrection des corps,

il n’y aura pas de place sur la terre

pour tout le monde !

LM

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